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COVID-19 : Épidémie, Maternité et Allaitement

Actualité publiée il y a 4 années 8 mois 1 semaine
Perspective
Lorsqu’on a peur ou lorsqu’on ne sait pas, ou pire encore, lorsqu’on ne sait même pas qu’on ne sait pas, on risque de séparer la mère et le bébé ou bien d’interdire l’allaitement... par sécurité (??) : voilà une drôle de façon de régler le problème en traitant la mère comme une pestiférée.

Au niveau mondial, l’épidémie de coronavirus atteint ce jour plus de 126.000 cas dont environ 4.600 décès. En France, ce 12 mars, nous en sommes à plus de 2.280 cas dont 48 décès (1). Puisque cette épidémie continue de s’étendre, et même de s’accélérer, plusieurs points sont à souligner. Le  Dr Marc Pilliot, Pédiatre, a rédigé ce texte qui peut être utile pour les professionnel(le)s autour de la naissance et de l’allaitement, mais aussi pour les parents.

"Depuis plusieurs jours, l’épidémie à Coronavirus envahit les régions, les médias et les esprits, avec son lot de comportements parfois irrationnels…"

 

1. Dans les circonstances actuelles, il persiste encore de nombreuses incertitudes sur le fonctionnement de ce virus et sur l’évolution de cette pandémie. Dans une société qui est toujours dans le souci de la maîtrise et de la performance, il est déroutant, voire anxiogène, d’être confronté à l’inexpérience face à une attaque virale jusque-là inconnue. Alors, rappelons-nous l’extraordinaire capacité d’adaptation de l’être humain et réagissons avec « modération et cohérence », sans confusion ni panique.

Les niveaux 1 – 2 et 3 ne sont pas des niveaux de gravité de la maladie, mais simplement des niveaux de réponses sociales et politiques face à une épidémie qui, en s’étendant de plus en plus, risque de désorganiser la société et l’économie. Ces niveaux de réponses sont donc variables selon les régions et selon les localités puisque l’épidémie ne diffuse pas partout à la même vitesse.

 

 

2. Les Coronavirus (CoV) forment une immense famille de virus infectant généralement diverses espèces animales. Toutefois, quelques-uns peuvent s’héberger chez l’Homme, provoquant généralement des rhumes et des syndromes grippaux bénins. Les plus courants sont HCoV-229 et HCoV-OC43 (2). Néanmoins, depuis le début de ce siècle, deux épidémies mortelles sont déjà survenues, provoquées par des coronavirus émergents, hébergés habituellement par des animaux et soudain transmis à l’homme : le SRAS-CoV en 2002 et le MERS-CoV en 2012. Leur contagiosité était faible, mais leur mortalité était très élevée : 10% pour le premier et 30% pour le second (2).

 

 

3. En décembre 2019, un nouveau coronavirus émergent (SARS-Cov-2) était identifié comme étant responsable de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), survenue en Chine et diffusant maintenant sur la planète. Sa contagiosité est beaucoup plus importante que les deux précédentes, mais sa gravité est bien moindre. Ce coronavirus est transmis principalement par les gouttelettes respiratoires expulsées par les personnes qui toussent ou éternuent, donc forcément lors d’un contact étroit (moins d’un mètre). La transmission peut se faire aussi après un contact avec les mains ou avec des surfaces fraîchement contaminées. Le virus peut y survivre pendant plusieurs heures, mais de simples désinfectants suffisent à le tuer (3-4).

 

 

4. La clinique ressemble à une grippe saisonnière : début brutal avec fièvre supérieure à 38°, courbatures, fatigue, parfois associées à des signes respiratoires (toux sèche ou gêne respiratoire), parfois avec quelques troubles digestifs. Dans environ 20% des cas, les signes respiratoires peuvent devenir très sévères (3-4). La mortalité semble être d’environ 2%, mais ces données sont probablement surestimées car de nombreux cas sont très peu symptomatiques, voire sans symptômes, donc difficiles à détecter et à comptabiliser.

 

5. La contagiosité semble assez proche de ce qui se passe avec la grippe saisonnière, mais il faut peut-être tenir compte d’un élément éventuellement facilitateur, à savoir l’absence de mémoire immunitaire de la population, puisqu’il s’agit d’un virus nouveau, jamais rencontré par l’humanité. En effet, une forte contagiosité peut créer des difficultés : d’une part, plus les malades sont nombreux et plus les sujets fragiles risquent d’être atteints par le virus et, d’autre part, un très grand nombre de malades dans le même temps peut désorganiser les familles et la société, pouvant créer ainsi des difficultés économiques supplémentaires. Par ailleurs, le malade étant déjà contagieux trois à cinq jours avant le début des symptômes, cela complique les mesures de prévention.

 

 

6. Comme pour les grippes saisonnières, les risques de la maladie Covid-19 sont la décompensation d’une maladie sévère déjà existante, la surinfection bactérienne et l’infection pulmonaire directe par le virus. L’âge avancé (notamment au-delà de 80 ans) et le tabagisme sont des facteurs aggravants (5). La femme enceinte étant légèrement immunodéprimée lors des derniers mois de grossesse, elle pourrait éventuellement être plus exposée aux surinfections et aux complications graves, d’où l’utilité d’un dépistage systématique au moindre doute et, dans ce cas, un suivi prolongé de la mère et du fœtus (6). Pour l’instant, il n’y a pas de preuves de transmission du virus au fœtus (7-8). Chez le nourrisson et chez l’enfant, la maladie est moins fréquente ; elle semble souvent asymptomatique et il n’y a pas de formes graves (9-5) : peut-être parce que le système respiratoire des enfants n’a pas de récepteurs à ce coronavirus ?

 

 

7. Ainsi, en France, en date du 12 mars, l’épidémie de Covid-19 reste encore « limitée » : 2.284 cas, dont une centaine de cas hospitalisés en service de réanimation et 48 décès (10). A titre de comparaison, signalons que la grippe saisonnière atteint des centaines de milliers de personnes en France et, cette année, jusque fin février, 744 malades ont eu besoin de soins intensifs et 72 sont décédés… alors qu’il existe un vaccin (11).

 

 

8. Face à cette maladie Covid-19 encore mal connue, les réponses médicales sont nécessaires, mais il est tout aussi indispensable que chacun fasse preuve de solidarité et de « souci de l’autre » pour éviter les dérives.

Cela veut dire qu’il faut commencer par se poser les questions : « Qui est vulnérable dans mon entourage ? Qui aura besoin de soutien en cas de forte épidémie ? » Cela signifie aussi qu’il faut éviter autant que possible les contacts inutiles avec les sujets fragiles : se dire bonjour sans se serrer la main et sans embrassades, limiter les visites en EHPAD, mais aussi en maternité (seulement la famille proche, non malade). On restera prudent dans les contacts avec les familles où il y a une personne âgée, mais aussi lorsqu’il y a une femme enceinte ou un jeune nourrisson. Dès la maternité, mais aussi après le retour à la maison, on favorisera la grande proximité de la mère et de son nourrisson, on encouragera le portage fréquent et on évitera de partager les jouets et autres objets ayant un contact avec le bébé.

 

 

9. Si l’on tousse, et même si l’on est seulement un peu patraque, il est fondamental de protéger son entourage : mouchoirs jetables, lavage des mains, masques. La solution hydroalcoolique est très utile, mais non indispensable : un lavage minutieux des mains, à l’eau et au savon, peut suffire. Le masque chirurgical est fondamental seulement pour le malade lorsqu’il est en présence d’autres personnes, afin d’éviter la contamination de l’entourage : il sera mis par-dessus la bouche et le nez et, par prudence, on évitera de contaminer la main en portant celle-ci sur le masque.

A l’inverse, le port du masque est inutile pour les personnes en bonne santé ; il risque même d’être dangereux pour la société en risquant de favoriser des ruptures de stock. En ville, les soignants prendront quelques précautions afin d’éviter des contaminations : hygiène des locaux (retrait des jouets et des journaux), désinfection des surfaces et des objets nécessaires, hygiène des mains, port du masque chirurgical. Quant aux soignants hospitaliers, une protection beaucoup plus importante peut être justifiée pour trois raisons : ils sont exposés en permanence à des risques de contamination importante, ils doivent rester performants pour soigner les malades graves arrivant à l’hôpital (y compris pour d’autres pathologies) et ils doivent éviter de devenir eux-mêmes des facteurs contaminants.

"Lorsqu’on a peur ou lorsqu’on ne sait pas, ou pire encore, lorsqu’on ne sait même pas qu’on ne sait pas, on risque de séparer la mère et le bébé ou bien d’interdire l’allaitement... par sécurité (??) "

10. Dans ce contexte de pandémie, il y a lieu de rappeler l’effet très protecteur de l’allaitement maternel : le lait de mère est antimicrobien et antiviral ; il permet de moduler l’immunité de l’enfant ; il diminue très nettement la vulnérabilité des enfants aux infections ainsi que les hospitalisations pour troubles respiratoires. Les bénéfices sont optimaux lorsque l’allaitement est directement au sein et lorsqu’il est exclusif jusqu’à six mois. Toutefois, l’allaitement partiel (c’est-à-dire en association avec d’autres liquides) apportera aussi un certain degré de protection. Les professionnel(le)s de santé doivent donc encourager les mères à allaiter et les aider à poursuivre sereinement leur allaitement. En cas de difficultés, puisque les professionnel(le)s ont peu ou pas de formation initiale sur la lactation, il ne faut pas hésiter à solliciter l’avis d’une consultante en lactation et/ou l’aide d’une association locale de soutien. Dans le même esprit, les entreprises devraient faciliter le maintien de l’allaitement maternel pour leurs employées reprenant le travail après le congé de maternité.

 

 

11. Si la mère est malade, il est fortement recommandé qu’elle continue d’allaiter son bébé en augmentant la fréquence des tétées.

On appliquera les mêmes principes que pour les autres infections.

N’oublions pas que « les mères et les bébés passent du temps ensemble. Ils sont exposés aux virus et autres agents pathogènes ensemble » (12)

Il n’y a donc pas lieu de séparer la mère et l’enfant : le lait maternel apporte une couverture immune parfaitement adaptée à l’environnement microbien et viral de la mère. Par le biais du cycle entéro-mammaire, dès le début de l’infection et donc avant même d’avoir des signes cliniques, la mère sécrète dans son lait des IgA sécrétoires, immunoglobulines spécifiques contre l’infection invasive. Par ailleurs, de très nombreux autres composants, y compris des cellules, vont permettre de créer un véritable bouclier immunitaire.

En cas de fièvre maternelle élevée et de grande fatigue, il convient de faire attention au partage de lit, en particulier avec un nourrisson de moins de 6 mois. Il est préférable de reposer le bébé dans son lit, placé à côté du lit de la mère.

Contrairement à ce qui est souvent proposé, il n’est pas nécessaire de tirer le lait de la mère pour le donner séparément : la mise en œuvre d’une telle pratique est trop compliquée par rapport aux bénéfices attendus ; de plus, elle est trop anxiogène et risque de contrarier la lactation au point de la tarir. Le tire-lait sera utilisé seulement si la mère est trop malade pour arriver à mettre son bébé au sein en toute sécurité, ou si le bébé est trop malade pour pouvoir téter efficacement.

Actuellement, il n’existe pas encore d’agent antiviral documenté comme efficace contre ce nouveau virus. Le Paracétamol peut être utile contre la fièvre. Les produits contenant de l’aspirine seront évités. Quant à l’Ibuprofène, il est maintenant déconseillé dans les viroses car il bloquerait les processus inflammatoires salvateurs. 

Bien évidemment, la maman malade respectera les règles d’hygiène : lavage des mains très soigneux avant chaque tétée et dans la journée, port d’un masque pour protéger l’entourage, y compris lorsqu’elle allaite son bébé, désinfection régulière des jouets du bébé.

Dans le cas particulier d’une mère qui a de la fièvre, des frissons, des courbatures, une grande fatigue, mais pas de toux et avec une douleur et/ou une zone indurée dans un sein, il s’agit probablement d’une mastite (inflammation du sein) et non pas d’une grippe ou d’une maladie Covid-19. La poursuite de l’allaitement est possible et même recommandé afin de drainer cette mastite. Si besoin, le médecin pourra se rapprocher d’une consultante en lactation ou d’une association de soutien pour plus d’informations.

 

 

12. En cas de contamination maternelle du péripartum, la situation sera gérée au « cas par cas », en fonction de l’état de la mère et en étant particulièrement vigilant sur le lavage des mains et sur le port du masque chez la mère. L’effet protecteur du lait maternel, et notamment l’extraordinaire capacité anti-infectieuse du colostrum, seront mis en balance avec un éventuel risque de contamination.