COVID-19 : Pourquoi l’immunité naturelle collective est un leurre
Ces scientifiques de l’Université de l'Illinois à Urbana-Champaign et de l’EPFL (Genève) nous présentent un modèle suggérant qu'une immunité collective fragile et temporaire s’est bien mise en place au début de l'épidémie, mais s’est « délitée » très vite ensuite, dès que les comportements sociaux ont été autorisés à se relâcher, favorisant alors les vagues d'infection suivantes. Ce modèle, documenté dans les Actes de l’Académie des Sciences américaine (PNAS), démontre en synthèse que déjouer le virus en se forçant une voie vers l'immunité naturelle collective (grâce à une circulation virale intense et une infection généralisée) n’est pas et ne pouvait pas être une stratégie gagnante. Seule la vaccination, sous condition qu'elle s'adapte aux variants, permettra d'atteindre une immunité collective durable.
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Ce nouveau modèle mathématique développé pour prédire la propagation d'épidémies telles que le COVID-19, tient compte non seulement de la sensibilité biologique variable des individus à l'infection, mais aussi de leurs niveaux d'activité sociale, qui évoluent naturellement avec le temps et les mesures mises en oeuvre pour contrer l'épidémie. En utilisant ce nouveau modèle, l'équipe montre qu'un état temporaire d'immunité collective, appelé « immunité collective transitoire » est apparu au cours des toute premières phases de l'épidémie. Cependant, le relâchement des comportements sociaux et les changements de stratégies mises en œuvre ont permis le développement de vagues ultérieures. En résumé, l'absence de continuité des mesures de distanciation a favorisé les reprises épidémiques.
Un état temporaire d'immunité collective survient lorsque de nombreux groupes sociaux ont été infectés collectivement.
L'immunité collective est le pourcentage de la population qui doit obtenir l'immunité pour qu'une épidémie prenne fin. « L'immunité collective est un sujet controversé », explique l’auteur principal, Alexei Tkachenko, physicien au Center for Functional Nanomaterials (CFN, New York) : « Depuis le début de la pandémie COVID-19, il a été suggéré qu’atteindre rapidement l'immunité collective mettrait ainsi fin à la transmission locale du virus. Cependant, notre étude montre que l'immunité collective apparente atteinte de cette manière ne dure pas ».
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Cette « immunité collective passagère » se délite en effet dès que les gens modifient leurs comportements sociaux. Par exemple, une personne qui s'est isolée au début de l'épidémie peut à un moment donné reprendre contact avec ses amis et ses proches, rencontrer de petits groupes ou de grandes foules. Ce « recâblage » global de ses réseaux sociaux suffit à former de nouveaux clusters, à déclencher de nouvelles vagues épidémiques, dont les conséquences peuvent d’ailleurs être « calculées ».
Alexei Tkachenko rappelle que « nous n'avons pas tous la même susceptibilité à l'infection en raison de facteurs tels que l'âge, les problèmes de santé préexistants (comorbidités) et la génétique. De la même manière, nous n'avons pas le même niveau d'activité sociale. Nous différons dans notre nombre de contacts et dans la fréquence de nos interactions, y compris au cours des différentes saisons. Cette hétérogénéité biologique et sociale de la population affaiblit le seuil d'immunité collective ».
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- Ainsi, si les modèles épidémiologiques basés sur des populations homogènes (ou peu de variation biologique et sociale entre les individus), prédisent une valeur élevée pour le seuil d'immunité collective -soit par ex. si le nombre de reproduction R0=3, 67% de la population doivent être infectés ou vaccinés pour atteindre l'immunité collective ;
- chez une population hétérogène et à hétérogénéité notamment sociale constante dans le temps le seuil d’immunité collective tombe à environ 42% ;
- chez une population hétérogène et à hétérogénéité notamment sociale variable dans le temps, la prise en compte des variations de l'activité sociale au fil du temps aboutit à un seuil d’immunité collective encore plus faible soit ~ 22%- ce qui apporte une fausse impression que l'épidémie est terminée alors qu'en réalité seule une immunité collective transitoire a été trouvée.
Le concept d'immunité collective ne s'applique pas dans la pratique au COVID-19
Cette immunité collective varie et diminue, en particulier avec la variation ou la modification des mesures barrières. Ainsi, une vague épidémique peut donner l’impression d’être contrôlée en raison de mesures de confinement et lorsque les groupes vulnérables ou les groupes plus sociaux collectivement ont été infectés ou vaccinés. Mais dès que les mesures sont assouplies et dès que les contacts sociaux reprennent, se dessine alors une nouvelle vague.
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De profondes implications pour les politiques publiques : ainsi, les mesures de distanciation, de confinement ou d’isolement, dont notamment le port du masque et l’interdiction des grands rassemblements, devraient être maintenues jusqu'à atteindre un véritable seuil d'immunité collective grâce à la vaccination.
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En synthèse « déjouer ce virus en forçant notre chemin vers l'immunité collective grâce à une infection généralisée » n’est pas une voie concevable, car le nombre de personnes infectées et le nombre de décès seraient trop élevés ».
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La nouveauté et l’intérêt de ce nouveau modèle résident donc dans la prise en compte des variations temporelles de l'activité sociale individuelle. De tels modèles fonctionnent en attribuant à chaque personne une probabilité qu'elle soit infectée si elle est exposée à un même environnement (susceptibilité biologique) et une probabilité qu'elle infecte les autres (activité sociale). Un modèle multidimensionnel complexe est nécessaire pour décrire chaque groupe de personnes présentant des susceptibilités différentes à la maladie. Ici, tous ces modèles ont été combinés en seulement 3 équations, avec un seul paramètre pour l'hétérogénéité biologique et sociale.
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«Nous appelons ce paramètre le facteur d'immunité, qui reflète dans quelle mesure le nombre de reproduction diminue au fur et à mesure que les individus vulnérables sont retirés de la population».
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Les scientifiques étudient maintenant la dynamique épidémique. Par exemple, ils intègrent au modèle les données associées aux événements «super-diffuseurs» ou des rassemblements au cours desquels une seule personne infectée peut provoquer une flambée importante parmi les participants.