ESCHERICHIA COLI et moi, émois, émois
Escherichia coli (ou E. coli) habituellement retrouvé dans le tractus digestif de l’homme et des animaux peut aussi coloniser d’autres biotopes. Cette bactérie doit son nom au bactériologiste Théodore Escherich. La souche E. coli K12 est la souche type de l’espèce, bien connue des biologistes (c’est la souche de laboratoire). Cependant l’espèce E. coli est constituée d’un large ensemble de souches considérées comme suffisamment proches de la souche K12 pour être incluses au sein de la même espèce.
Actuellement, plus de 1000 souches ont été identifiées et caractérisées chez E. coli et plus de 60 souches E. coli ont été entièrement séquencées (on trouve entre 4300 et 5300 gènes dans un génome d'E. coli). Les microbiologistes identifient « grossièrement » les souches grâce aux antigènes de surface de la bactérie (structures biochimiques complexes) qui sont facilement reconnaissables par des anticorps spécifiques. Parmi ces antigènes les plus utilisés sont les antigènes O et H**. Chez E. coli on a identifié prés de 200 antigènes O différents, et plus de 50 antigènes H. Théoriquement on pourrait s'attendre à trouver 10 000 combinaison antigéniques différentes (appelé sérotype O:H) identifiant chacune une souche (Ex :O1:H2, O78:H6, O157:H7, O113:H21, O26:H11, O104:H4, etc.). Les souches d'E. coli sont si nombreuses qu'il est difficile de connaître exactement leur nombre. Il est probable que des milliers de souches d'E. coli aient été identifiées à ce jour. Parmi ces nombreuses souches, la plupart ne sont pas pathogènes (non virulentes) et sont des hôtes habituels de la microflore intestinale de l'homme et des animaux (dit E. coli commensaux). On peut en effet dénombrer autour de 100 milliards d'E. coli dans le colon (partie distale de l'intestin) de chacun d'entre nous ! En général ils nous veulent du bien. Ils contribuent à empêcher le développement de bactéries pathogènes dans le tube digestif (effet barrière). Malheureusement, certaines souches E. coli peuvent être responsables d'infections plus ou moins graves (on parle de souches pathogènes).
**L'antigène O (ou LPS) est un composant majeur de la paroi des bactéries Gram négatif (LPS pour lipopolysaccharide), l'antigène H est un composant majeur des flagelles (long filament composées de sous unités protéiques qui assure la mobilité de la bactérie).
Les souches E. coli pathogènes. Les souches E. coli pathogènes sont responsables de divers infections intestinales ou extraintestinales (urinaires, septicémiques, méningées, cutanées et même pulmonaires). Ces souches sont classées suivant les infections qu'elles sont capables d'entrainer. On dit qu'elles appartiennent à des pathotypes (ou pathovars) différents. Les souches formant un pathotype sont souvent issues d'un ou plusieurs groupes clonales (ayant une origine génétique proche, peut être issus d'un ancêtre commun). (En savoir plus : voir le chapitre « Lessouches E. coli pathogènes» en fin de texte). Les souches Enterohémorragiques (EHEC) qui sont l'objet principal de ce document sont décrites ci-dessous.
Les souches E. coli pathogènes portent des gènes particuliers (gènes de virulence) qui codent pour des facteurs de virulence (responsables des troubles occasionnés par l'infection). (En savoir plus; voir le chapitre «les facteurs de virulences » en fin de texte). La plupart des gènes de virulence sont portés par des éléments génétiques mobiles (EGM). Les EGM sont des segments d'ADN capables de mouvements à l'intérieur et entre des génomes. Les génomes bactériens évolueraient grâce à un flux de gènes dont les EGM sont à la fois réservoir et vecteurs naturels. Les EGM sont transmis à la descendance et représentent près de 10 à 50% du génome des bactéries. Ils permettent le transfert, l'intégration, et la stabilisation d'informations génétiques entre différentes souches bactériennes (transferts génétiques horizontaux, intra ou inter-espèces). Pour cette raison le génome d'E. coli porte de nombreux éléments génétiques originaires d'autres espèces bactériennes (Salmonella, Klebsiella, Yersinia, Shigella). L'identification, la caractérisation et la distribution des EGM chez une souche bactérienne donnent des informations essentielles sur son origine, son pathotype et sa virulence. Cette plasticité du génome bactérien est également observée dans l'ensemble du monde vivant (des plantes aux animaux, y compris l'homme). Les écosystèmes bactériens complexes (microflore intestinale, cuves à lisiers, boues d'épuration…) contenant plusieurs milliards de cellules bactériennes par gramme, appartenant à des milliers d'espèces différentes, représentent de formidables réacteurs biologiques ou les EGM expriment leur extraordinaire capacité à brasser les génomes bactériens. Les bactéries ont naturellement acquis au cours de leur évolution (qui est permanente) de formidables capacités à modifier leur génome (on parle de plasticité génomique). Cette plasticité leur permet de s'adapter aux fluctuations de l'environnement (acidité, température, sources énergétiques, compétition avec d'autres bactéries…) et de résister à divers stress (antibiotiques, carence alimentaire, présence de sel…). (En savoir plus; voir le chapitre «Les éléments génétiques mobiles » en fin de texte).
Les souches enterohémorragiques (EHEC) ou STEC (pour shigatoxin-producing E. coli) ou encore VTEC (verotoxin-producing E. coli). Les EHEC ont été isolées pour la première fois en Amérique du nord en 1982 lors de toxi-infections causées par l'ingestion de hamburger. Depuis de nombreuses toxi-infections alimentaires à EHEC ont été décrites à travers le monde. A Seattle en 1993, (734 cas dont 4 morts) viande de bœuf insuffisamment cuite provenant d'une chaîne de restaurant (sérotype O157:H7). En Australie (Adelaïde) en 1995 (23 cas dont 22 syndromes hémolytique urémiques – SHU – et un mort). Contamination de saucisse fermentée crue par une souche de sérotype O111:NM. Au Japon en 1996 (5.727 cas) contamination de radis (non confirmé) par la souche O157 :H7. Au Canada en 1996 (66 cas, 12 SHU, un mort) contamination de jus de pomme commercial non pasteurisé par des fèces de bovins (souche O157 :H7). En Ecosse en 1996 (120 cas, 19 morts). L'aliment concerné était de la viande de bœuf cuisinée et froide. Au Japon, en 1997 (96 cas, un mort) contamination de radis blanc par la souche O157:H7. En France en 2005 (16 SHU chez de jeunes enfants) contamination de steaks hachés surgelés par O157 :H7. L'épidémie alimentaire allemande de mai/juin 2011 a été à ce jour la plus grave. Prés de 3360 personnes infectées par une nouvelle souche particulièrement virulente, plus de 824 SHU (dont une partie va garder des séquelles rénales et/ou neurologiques plus ou moins graves) et 38 décès. Des graines germées contaminées apparaissent être la source de la contamination.
Ce pathotype regroupe les souches d'E. coli ayant les gènes codant les shigatoxines (Stx). Le terme « E. coli enterohémorragiques » (EHEC) est utilisé pour désigner les souches considérées comme pathogènes pour l'Homme. Ces souches sont capables de produire un ou deux types antigéniques de shigatoxines (Stx1et Stx2; Stx2 plus virulente que Stx1). Les gènes stx1 et stx2 sont portés par de l'ADN phagique. Ces phages (virus qui infectent les bactéries) peuvent être transférés entre les EHEC et d'autres souches d'E. coli, ce qui explique la diffusion des gènes stx dans plus de 400 sérotypes d'E. coli. La production de ces toxines est sous le contrôle de phages intégrés dans le génome bactérien (on dit qu'ils lysogénisent ces bactéries). Cela veut dire que la toxine est produite et libérée seulement quand le phage active un cycle lytique qui va lui permettre de se multiplier. Le cycle lytique est activé quand la bactérie est soumise à certains stress (carence énergétique ou présence d'un antibiotique) (détails en fin de texte dans «Les éléments génétiques mobiles »). Pour cette raison, l'emploi d'antibiotiques est controversé dans les infections à EHEC, car leur utilisation conduit à une surproduction de toxine. Le problème posé aux cliniciens ne vient pas de la résistance de la bactérie aux antibiotiques mais des risques liés à leur utilisation. (En savoir plus; voir le chapitre «Les E. coli producteur de shigatoxines» en fin de texte).
Présentation clinique de l'infection.
La colite hémorragique. Les symptômes provoqués par les EHEC apparaissent de 2 à 10 jours après la consommation d'aliments contaminés. La dose infectante peut être très basse (une dizaine de cellules bactériennes). Les infections à EHEC se manifestent le plus souvent par une diarrhée abondante avec de violentes crampes abdominales suivie dans les 48 h de l'émission de sang. Des nausées, des vomissements et parfois de la fièvre peuvent y être associés. La diarrhée sanglante (colite hémorragique) est retrouvée dans 90% des cas diagnostiqués mais l'infection par des EHEC peut être plus discrète et certains patients développent des complications sans avoir présenté de diarrhée. La colite hémorragique pourrait être liée ; 1). aux lésions "attachement-effacement" qui détruisent les microvillosités des entérocytes (cellules de l'endothélium intestinal), 2). aux effets des shigatoxines sur la vascularisation de l'intestin entraînant une nécrose et une mauvaise absorption des fluides, 3). à la présence d'autres facteurs de virulence comme des enterotoxines (certaines souches EHEC produisent aussi les enterotoxines des ETEC et des EAEC).
Il n'existe pas de traitement étiologique (qui prévient la pathologie) des colites hémorragiques dues aux EHEC, seul, un traitement symptomatique est possible. Il consiste principalement en une réhydratation par voie intraveineuse qui permet à la fois de compenser les pertes hydriques dues à la diarrhée et de soutenir la fonction rénale. Comme précédemment évoqué, l'usage d'antibiotiques est très controversé, car il favorise la production et la libération de shigatoxines. Le recours à des anti-diarrhéiques est aussi déconseillé car il augmente le temps de contacte des toxines avec le tube digestif (risque accru de complications). Dans la majorité des cas les colites hémorragiques cessent spontanément en quelques jours. Malheureusement celles-ci peuvent se compliquer (dans 2 à 15% des cas) par un syndrome hémolytique et urémique (SHU). Environ 20% des cas de SHU gardent en séquelle une insuffisance rénale.
Le syndrome hémolytique et urémique (SHU). Ces complications sont essentiellement dues aux lésions de l'endothélium vasculaire capillaires (tissus cellulaire qui recouvre l'intérieur des vaisseaux sanguins) provoquées par les shigatoxines. Après le passage de la toxine dans la circulation sanguine (favorisé par les lésions de l'intestin), celle-ci est apparemment véhiculée jusqu'aux organes cibles par les polynucléaires (cellules circulantes du système immunitaire). L'endothélium des artérioles et les capillaires des reins sont particulièrement riche en un composé appelé Gb3. C'est justement sur le Gb3 que les shigatoxines vont se fixer (on dit que le Gb3 est le récepteur de la toxine). C'est pour cette raison que les reins sont particulièrement lésés au cours des complications. La fixation de la toxine sur l'endothélium vasculaire déclenche une cascade de réaction qui va entrainer l'agrégation des plaquettes (éléments du sang qui sont nécessaires à la formation des caillots) au niveau des capillaires et former des microthrombi (petits caillots) contenant plaquettes et fibrine. La diminution du diamètre des vaisseaux augmentant localement la pression sanguine, les hématies (globules rouges) comprimées et poussées par la pression éclatent et se fragmentent. La production de médiateurs chimiques vasoactifs (qui agissent sur le diamètre des vaisseaux) par l'endothélium vasculaire lésé va en retour aggraver l'ischémie (insuffisance de la circulation sanguine) en provoquant une vasoconstriction des capillaires (diminution du diamètre des vaisseaux). Cette cascade de réactions entraîne une anémie hémolytique (lié à la destruction des hématies) et une thrombopénie (diminution du nombre de plaquettes lié à leur agrégation), et une ischémie rénale aiguë due aux thrombi de la microcirculation. Cliniquement, le SHU se caractérise par la survenue d'une triade typique : anémie hémolytique, thrombopénie et insuffisance rénale aiguë. Les signes cliniques les plus évidents du SHU sont une pâleur des muqueuses qui marque l'anémie et une oligurie (production urinaire faible), voire une anurie (plus de production d'urine) attribuable à la défaillance rénale. Le tableau clinique du SHU peut parfois se compliquer d'affections neurologiques, cardio-respiratoires et gastro-intestinales. L'atteinte du système nerveux central est actuellement la principale cause de décès. Ces complications nerveuses sont liées à un œdème cérébral ou à des microthrombi vasculaires à l'origine d'un infarctus cérébral.
Le traitement reste symptomatique. Plus sa mise en place est précoce, moins le pronostic vital est engagé. Il consiste essentiellement en des apports nutritionnels et hydro-électrolytiques par voie orale ou parentérale à l'aide de solutions isotoniques dans les cas les plus graves. L'utilisation d'antibiotiques, d'anti-diarrhéiques, et d'anti-inflammatoires non stéroïdiens doit être évitée pendant la phase aiguë du SHU. La plupart des patients oliguriques ou anuriques doivent être dialysés. Les transfusions sanguines sont indiquées dans les cas d'anémie sévère. Les transfusions plaquettaires ne sont indiquées que si hémorragies. Le taux de mortalité en phase aigüe de SHU est actuellement inférieur à 5%. Malgré une guérison apparente, la plupart des patients sont susceptibles de développer des complications tardives. Ainsi, les patients ayant présenté un SHU avec une anurie de plus d'une semaine doivent faire l'objet d'une surveillance à très long terme.
Actuellement il n'existe pas de traitement étiologique des SHU liés aux EHEC, cependant de nouveaux traitements dirigés directement contre la toxine ou sur ses effets pourraient améliorer le pronostic des patients présentant un SHU. L'efficacité de l'administration parentérale (perfusion) d'anticorps capables de neutraliser les shigatoxines reste à démontrer mais les résultats des études précliniques semblent prometteurs. Le New England Journal of Medicine vient de rapporter (mai 2011) le succès d'un traitement sur 3 enfants souffrant de SHU par un anticorps (Eculizumab) qui inhibe une partie du système immunitaire appelé le système du complément.