DÉVELOPPEMENT: Pourquoi le conflit perturbe l'apprentissage
Certes, nous sommes heureux d’avoir pu surmonter l'obstacle. Cependant, on s’en passerait volontiers. Cette idée, ces chercheurs de l’Université Brown l’appliquent ici à l’apprentissage. Ils nous expliquent pourquoi toute difficulté ou conflit nuit à l’apprentissage. L’étude ne se contente pas de conclure, elle en apporte la preuve de multiples façons, par expérience comportementale, via l’EEG, les tests génétiques, la manipulation des niveaux de dopamine et l’eye-tracking. Conclusions dans la revue Nature Communications.
En bref, un apprentissage idéal se passe de difficulté et de conflit. Ainsi, lorsque ces chercheurs ajoutent ici une dimension conflictuelle lors de la réalisation d'une tâche d'apprentissage, cette difficulté complique aussi l'apprentissage en réduisant l'influence de la récompense et en réduisant l'évitement de la difficulté.
Pour tester l'impact du conflit dans l'apprentissage, les chercheurs ont exploité le principe du « conflit spatial ». Dans cette situation expérimentale, bien connue en psychologie cognitive, des participants doivent utiliser leur main gauche pour signaler un objet sur le côté droit d'un écran, ou vice versa. Dans une telle situation expérimentale, les participants vont répondre un peu plus lentement (12 millisecondes) mais des signaux cérébraux connus pour être associés à un signal d'alarme déclenché par une situation de conflit seront identifiables par électro-encéphalographie (EEG).
L'étude comportementale : Dans une première phase d'apprentissage, 83 participants adultes devaient appuyer sur le bouton gauche d'une manette de jeu lorsqu'ils voyaient une forme bleue ou sur le bouton droit de la manette lorsqu'ils voyaient une forme jaune. 4 formes au total, nommées A, B, C et D pouvaient apparaître à n'importe quel endroit de l'écran. Chaque forme avait sa probabilité de récompense (d'1 point) lorsque les participants appuyaient sur le bon bouton. A était systématiquement récompensé, D rarement récompensé, B et C une fois sur 2. Cependant B n'était jamais récompensé lorsqu'il apparaissait du côté opposé à la touche et C n'était récompensé que lorsqu'il apparaissait du côté opposé à la touche (c'est-à -dire en situation de conflit spatial).
Après cette phase d'apprentissage, les participants devaient observer des paires de formes et choisir la plus gratifiante.
Si l'expérience peut sembler un peu complexe, les résultats sont clairs :
· Tous les participants ont appris et compris
- qu' A était « gratifiant »,
- Que D ne l'était pas.
· Chaque participant a géré, « à sa manière », son apprentissage de B et C :
- Pour les participants plus sensibles à la récompense, le conflit spatial réduit la valeur de la récompense, conduisant à une préférence pour B vs C.
- Pour les participants plus sensibles à la punition –et donc qui cherchent à l'éviter-, le conflit spatial a favorisé cet aspect, conduisant à un évitement de B et donc une préférence pour C.
En fin de compte, le facteur conflit a, dans tous les cas, perturbé l'apprentissage.
L'étude cérébrale : Durant l'expérience, des capteurs EEG ont suivi l'activation d'une zone du cerveau, le cortex cingulaire, impliquée dans l'évaluation de l'effort, de la difficulté et du conflit dans l'action. Les chercheurs montrent, à partir de la mesure de la fréquence des différents types d'ondes cérébrales au cours des différentes phases de l'expérience que le conflit a pour conséquence à la fois de diminuer la valeur de la récompense et l'aversion pour la punition.
L'étude génétique montre que les participants porteurs de certaines variantes du gène DARPP-32 sont plus sensibles à l'apprentissage par la récompense, alors qu'avec d'autres variantes sont plus sensibles à l'apprentissage par évitement de la punition, suggérant que l'expression de ce gène affecte la fonction de la dopamine dans les circuits de la récompense et de la punition situés dans le striatum.
Ce génotypage s'avère en ligne avec le comportement des participants durant l'expérience.
L'étude « biologique » a consisté à donner à 30 participants de faibles doses de cabergoline, un agoniste de la dopamine qui, en réduisant la réceptivité à la dopamine, favorise l'apprentissage par l'évitement de la punition plus que par la récompense. Les participants montrent alors des comportements inversés lors de l'expérience portant sur « B sur C ».
Ce dernier résultat est confirmé par eye-tracking, qui montre que la vitesse de clignotement des yeux est liée à l'activité de la dopamine et donc à l'influence de la récompense.
Effort et récompense, 2 « circuits interconnectés » : Cette influence de la difficulté ou du conflit sur l'apprentissage confirment que les connexions dans le cortex qui évaluent le degré d'effort, de difficulté et de conflit interfèrent avec les circuits de la récompense et de la punition. La réponse du cortex au conflit induit un signal négatif dans notre système d'apprentissage, résume Michael Frank, chercheur en sciences cognitives à la Brown University et co-auteur de l'étude. Des données qui peuvent permettent de mieux comprendre les troubles de l'apprentissage chez l'enfant en situation de conflit, en cas de troubles anxieux par exemple. Et qui posent la question : « En cas d'anxiété, l'apprentissage se fait-il mieux par la récompense ? ».
Source: Nature Communications 04 November 2014 doi:10.1038/ncomms6394 Conflict acts as an implicit cost in reinforcement learning (Visuel© Petrovich12 - Fotolia.com)
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