e-CIGARETTE: Permet-elle de sortir la société du tabac ?
La cigarette électronique inquiète car elle pourrait ne pas être sans danger, être un moyen d’initiation des jeunes à la nicotine, rendre impossible l’application de fumer du tabac dans les lieux clos et couverts. Sa place comme moyen d’arrêt du tabac est en cours d’évaluation. Bien qu’encore partielles, les études indiquent que si la cigarette électronique doit être surveillée et réglementée, elle est aussi une opportunité nouvelle car son développement est accompagné d’une baisse notable du tabagisme en France.
Le tabac tue un fumeur sur deux, soit annuellement 73.000 Français ou 200 par jour. C'est une menace sévère et à court terme chez la femme enceinte. Le tabac est la première cause évitable de décès dans le monde. L'industrie du tabac développe pourtant des trésors d'ingéniosité pour maintenir, voire renforcer, l'addiction des fumeurs et rendre dépendants enfants et adolescents. Les mesures efficaces contre le tabac font l'objet d'un tel consensus scientifique qu'elles sont réunies dans un traité international (la Convention Cadre de Lutte Anti-Tabac ou CCLAT) ratifié par la France dès 2004 : interdiction de la publicité, augmentation dissuasive et répétée des taxes, protection des non-fumeurs, éducation et aide à l'arrêt de la consommation.
En France, un certain nombre de mesures ont été prises par des gouvernements successifs depuis la loi Veil de 1976. La mesure la plus dissuasive auprès des fumeurs est l'augmentation répétée des taxes. Les augmentations qui ont suivi la loi Evin de 1991 à 1997, le Plan Cancer I de Jacques Chirac et Jean-François Mattéi (2003-2004) avec un triplement des prix ont réduit d'un facteur 2 les volumes des ventes de tabac d'une part et les cancers du poumon des hommes de 35-44 ans d'autre part.
La promotion des thérapeutiques du sevrage tabagique (1997-2002), l'aide à ce sevrage avec un forfait de prise en charge par l'assurance maladie ne sont pas des mesures suffisantes pour avoir un impact mesurable sur le niveau du tabagisme. La période de 2004 à 2011 est en opposition aux engagements pris par la France en ratifiant la CCLAT. La cogestion du marché par le ministère du Budget et l'industrie du tabac a conduit à des augmentations de prix (et non de taxes) destinées à augmenter les profits en maintenant le volume des ventes. La cigarette électronique ou e-cigarette a fait une entrée remarquée et a modifié le paysage de la lutte contre le tabagisme depuis 2012.
La cigarette électronique (e-cigarette) : Inventée en Chine par Hon Lik en 2006, la cigarette électronique de deuxième ou troisième génération est disponible sur un marché qui se développe de manière spectaculaire. En France, en 2013, on estime à un million le nombre d'utilisateurs appelés “vapoteurs”, soit au moins 8% des 13,5 millions de fumeurs.
Le principe est de provoquer par un chauffage doux (environ 60°C) un aérosol plus ou moins concentré en nicotine. Contrairement à la cigarette traditionnelle, pour laquelle la température du foyer peut atteindre 500 à 700 degrés, il ne s'agit pas d'une combustion. Le principal composant de l'aérosol est le propylène glycol ou le glycérol, auxquels peuvent s'ajouter de la nicotine, de l'eau, de l'éthanol et des arômes. Bien que certains inhalateurs électroniques de nicotine ressemblent par leur forme à des produits classiques du tabac (cigarettes, cigares, cigarillos, pipes ou pipes à eau), ils peuvent aussi prendre la forme d'objets du quotidien tels que stylos, clés USB ou dispositifs cylindriques, voire rectangulaires. Les différences de voltage de la batterie et des résistances des circuits entraînent une variabilité de la quantité d'aérosol et peuvent, par conséquent, influer sur la disponibilité de la nicotine et des autres constituants. Le comportement de l'utilisateur peut aussi modifier la résorption de la nicotine par la durée des bouffées, la profondeur de l'inhalation et leur fréquence.
Certains utilisateurs modifient eux-mêmes ces dispositifs pour régler la diffusion de nicotine ou d'autres drogues (THC du cannabis).
Les recharges de nicotine sont de différents dosages. En France, quatre dosages sont proposés (3 à 6 mg/mL - 7 à 12 mg/mL - 13 à 17 mg/mL - 18 à 20 mg/mL). La Directive européenne du 3 avril 2014 sur les produits du tabac interdit les concentrations supérieures à 20 mg/mL.
L'e-cigarette peut aider une démarche de réduction des doses vers l'abstinence nicotinique. Si l'usage de l'e-cigarette provoque un « throat hit » apprécié des fumeurs, il entretient aussi leur gestuelle et permet donc l'inhalation de nicotine. Avec une cigarette classique, la nicotine parvient au cerveau en 7 secondes et sa concentration plasmatique dépasse 26 ng/mL en moins de 10 minutes. L'e-cigarette conduit à un passage moins rapide de la nicotine vers le cerveau. Avec les e-cigarettes de deuxième et troisième générations, la délivrance de la nicotine se rapproche désormais de celle obtenue avec une cigarette traditionnelle mais les bouffées restent plus étalées au cours de la journée.
Toxicité comparée de la cigarette électronique et de la cigarette classique
En ce qui concerne la cigarette électronique, nous ne disposons à l'heure actuelle que d'une étude comparative de toxicité à long terme qui ne laisse pas apparaître, comparée aux timbres de nicotine, d'effets secondaires sérieux.
- Les études de toxicité à court terme sur des cultures de fibroblastes, montrent que les liquides des e-cigarettes sont beaucoup moins toxiques que la fumée du tabac.
- De plus, l'aérosol, communément appelé « vapeur », émis par l'e-cigarette à la température d'environ 60 degrés ne contient pas les substances toxiques liées à la combustion comme le monoxyde de carbone ou les goudrons.
- Quant aux principaux composants des e-liquides : le propylène glycol, également utilisé comme additif alimentaire, n'a aucune toxicité à court terme à la température de 60 degrés, la dégradation du glycérol en produits toxiques n'est significative qu'au-delà de 250 degrés.
- Les concentrations de carcinogènes (formaldéhyde, acétaldéhyde, acroléine, toluène, nitrosamines) sont de 9 à 450 fois moins élevées qu'avec la cigarette traditionnelle.
- La combustion du tabac d'une cigarette classique produit 7.000 composants dont plus d'une centaine sont cancérigènes. La toxicité du tabac est aussi celle du monoxyde de carbone qui se fixe sur l'hémoglobine.
- Quant à la nicotine, qui reproduit au niveau des récepteurs nicotiniques les effets de l‘acétylcholine, elle stimule le « système de récompense », avec une libération de dopamine au niveau du noyau accumbens associée à une sensation de plaisir. Quand elle cesse, le déplaisir, la frustration, l'irritabilité conduisent à fumer de nouveau.
Pour accroître la libération de dopamine, à partir de laquelle s'édifie l'addiction, les fabricants de cigarettes ajoutent au tabac diverses substances :
- ammoniaque pour accroître la proportion de nicotine libre,
- chromones dont la combustion donne naissance à des aldéhydes volatils (formaldéhyde, acétaldéhyde, propionaldéhyde, acroléine….) qui inhibent la monoamine oxydase, enzyme de dégradation de la dopamine.
Finalement la toxicité de l'e-cigarette est bien moindre que celle du tabac fumé, car elle est amputée de celle des substances cancérigènes, de celle de l'oxyde de carbone et de la présence des aldéhydes volatils qui accroissent les effets recherchés de la nicotine. C'est donc un outil utile à la réduction de la mortalité, mais aussi de la morbidité tabagique. L'intérêt de l'e-cigarette réside en outre, dans le possible recours à des recharges de concentrations décroissantes de nicotine, pour aller progressivement vers l'abstinence complète et définitive. Ainsi les recharges devraient être exemptes de tout adjuvant influant la saveur, l'odeur ou le parfum aux fins d'accroître l'appétence et de constituer un moyen supplémentaire d'attrait et de dépendance, notamment chez les enfants et les adolescents. Leur composition précisée et contrôlée devra répondre à la norme AFNOR en cours d'élaboration.
Même s'il est difficile de quantifier précisément la toxicité à long terme de la cigarette électronique, celle-ci est à l'évidence infiniment moindre que celle de la cigarette traditionnelle.
Cigarette électronique versus traitement par substitution nicotinique
Un rapport remis en mai 2013 au ministre français en charge de la santé faisait le point sur le sujet. L'accord semble général pour dire que ce produit est moins dangereux que la cigarette traditionnelle. Une méta-analyse sur treize études dont deux contrôlées et randomisées montre que la cigarette électronique avec nicotine a deux fois plus de chance de conduire à un arrêt complet d'au moins six mois que celle sans nicotine (risque relatif, RR=2,29 ; intervalle de confiance, IC 95% 1,05 à 4,96) ; davantage de fumeurs avaient réduit d'au moins 50% leur consommation (RR=1,31 ; IC 95% 1,02 à 1,68). Sur ce dernier point, l'e-cigarette fait mieux que les timbres à la nicotine (RR=1,41 ; IC 95% 1,20 à 1,67). Aucun événement indésirable grave n'a été décrit dans ces études. Ces résultats sur de faibles effectifs demandent à être confirmés. L'e-cigarette n'est aujourd'hui recommandée par aucune organisation officielle (OMS, HAS, DGS...) mais « la HAS considère en revanche que, du fait de sa toxicité beaucoup moins forte qu'une cigarette, son utilisation chez un fumeur qui a commencé à vapoter et qui veut s'arrêter de fumer ne doit pas être découragée » [10].
Une incitation forte devrait être faite pour que ce dispositif soit mis au service de l'instauration de l'abstinence. D'éventuelles recharges contenant des concentrations de nicotine supérieures à 20 mg/mL ou revendiquant un effet bénéfique à la santé (aucune n'est actuellement sur le marché) devraient avoir le statut de médicament et disposer d'une AMM avec procédure simplifiée. En effet, il s'agit d'une variante du spray de nicotine déjà sur le marché. Le statut de médicament permettrait à l'assurance maladie de l'inclure dans le forfait de prise en charge du sevrage tabagique. Dans le cadre de l'éducation thérapeutique, une dispensation officinale pourrait être organisée.
La cigarette électronique contribue à aider les fumeurs qui l'ont adoptée à se libérer du tabac. Les recharges contenant plus de 20 mg/ml devraient avoir le statut de médicament.
e-cigarette et contrôle du tabac
- La cigarette électronique, entourée d'un puissant battage médiatique, est devenu un objet à la mode qui pourrait tenter les mineurs. En France, l'étude faite depuis de nombreuses années à Paris est plutôt rassurante : le tabagisme des collégiens et les lycéens continue de baisser. De plus, même en ajoutant les différentes sources de nicotine (tabac plus cigarette électronique), leur utilisation par les collégiens parisiens est en baisse, de 20,2% en 2011 à 16,2% en 2014. Malgré cela, l'e-cigarette ne peut être destinée aux enfants et adolescents et, comme pour le tabac, sa vente doit être interdite aux mineurs ainsi que le stipule la loi Hamon de mars 2014.
- L'usage en public de l'e-cigarette est difficile à distinguer de celui des cigarettes classiques : il peut inciter à ne plus respecter les interdictions de fumer. Il y a un large consensus des acteurs de santé publique pour demander l'interdiction de l'usage de l'e-cigarette dans TOUS les lieux où il est interdit de fumer.
- Les achats d'entreprises fabriquant et distribuant des cigarettes électroniques par l'industrie du tabac se multiplient et des campagnes publicitaires, y compris à la télévision française, ont déjà commencé, destinées indistinctement aux fumeurs, aux non-fumeurs, aux enfants et adolescents. Il est donc évident qu'il faut interdire toute publicité et toute promotion de ce produit, sauf dans son utilisation comme méthode d'arrêt si celle-ci est reconnue.
Conclusions et recommandations
Les baisses de ventes de cigarettes en 2012 (- 4,9%), 2013 (- 7,6%) et 2014 (- 5,3%) ne peuvent être dues aux augmentations de prix bien insuffisantes pour avoir un tel effet. De plus, ces baisses de ventes sont accompagnées d'une diminution drastique des recours aux traitements de la dépendance tabagique alors qu'ils augmentent systématiquement quand les taxes sont augmentées de façon dissuasive (10%). Il est donc probable que ces baisses de ventes de cigarettes (tabac) soient liées au rapide accroissement de la disponibilité et des ventes de cigarettes électroniques.
L'Académie Nationale de Médecine recommande :
1. de réglementer la fabrication et la distribution de l'e-cigarette (et produits apparentés) afin d'en assurer la sureté et la fiabilité (norme AFNOR) ;
2. de ne pas dissuader les fumeurs qui l'utilisent et de favoriser l'émergence d'une e-cigarette « médicament » pour des produits revendiquant un effet bénéfique pour la santé et mis à la disposition des fumeurs qui désirent évoluer vers l'abstinence par le circuit pharmaceutique ;
3. de maintenir et d'assurer l'application de l'interdiction de vente aux mineurs, de son usage en public partout où il est interdit de fumer du tabac ;
4. d'en interdire toute publicité et promotion, sauf dans son utilisation comme méthode d'arrêt si celle-ci est reconnue.
N.B. Les membres du groupe de travail déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts en relation avec le contenu de ce rapport. L'Académie saisie dans sa séance du mardi 3 mars 2015, a adopté ce rapport par 71 voix pour, 1 voix contre et 4 abstentions.
Auteurs : Gérard Dubois Jean-Pierre Goulle, Jean Costentin (Rapporteurs).
Au nom de la Commission VI (Addictions)
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